Chaland 2000

Cette interview a été publiée dans Bodoi numéro 36, décembre 2000.

Une comète est passée dans le ciel de la BD. Yves Chaland, le roi de la nouvelle ligne claire, a disparu en juillet 90, il aura parsemé sa brève carrière d’astres éblouissants, hommages – brillants mais iconoclastes – aux plus grandes étoiles du genre. Tout le monde connaît le trait de Chaland. Mais qui connaît Chaland ? Alors que sort aux éditions Champaka un superbe livre présentant ses innombrables travaux publicitaires et qu’Angoulême prépare pour janvier 2001 un expo sur son œuvre, nous avons demandé à trois hommes de vous parler de lui. Jean-Pierre Dionnet, ex-rédacteur en chef de Métal Hurlant, l’a découvert. Didier Pasamonik et son frère Daniel (aujourd’hui disparu) lui ont fait connaître la Belgique de Franquin, son idole, et ont édité plusieurs de ses albums. Yann enfin, scénariste des Innommables et de Pin-up, fut son complice en dynamitages variés. L’opinion de chacun n’engage en rien les deux autres…

Avril 1978, les premières planches de Chaland paraissent dans Métal Hurlant n°28.

DIONNET : A Angoulême, je farfouille systématiquement au stand des fanzines à la recherche de petits génies (j’ai trouvé Margerin comme ça). Une année, je tombe sur deux fanzines intéressants. L’un totalement pourri, noir et blanc, mal photocopié : c’était du Serge Clerc. L’autre, grand format, dix pages, couverture à tomber par terre : c’était L’Unité de valeur d’Yves Chaland.

J’écris à ce fameux Chaland qui vient à Paris sans trop y croire. Dès le début, je n’ai su s’il se foutait de ma gueule ou pas. Il balançait des " c’est tellement merveilleux, patron ! Puis-je vous appeler patron ? Car vous êtes mon patron désormais ! ". Il était assez peu sûr de lui, se sentait incapable de fonctionner seul, ne travaillait qu’avec Luc Cornillon, son inséparable collègue. Il pouvait tout faire, tous les styles, être Alex Raymond, Caza, Franquin. Il a vite choisi Franquin et la ligne claire. Ce qui l’intéressait n’était pas de concevoir quelque chose de nouveau et de différent, mais de reprendre ce qui était et de jouer la même partition, différemment.

En 1979, Chaland s’installe à Paris. Il devient maquettiste à Métal.

DIONNET :Il était assistant de la direction artistique. Tout content, il lançait des " J’obéis à une patronne en plus d’un patron ! ". Il adorait en rajouter dans le genre " je ne suis qu’un humble rouage ". Il a tenu neuf mois, puis en a eu marre de ne pouvoir faire de la bande dessinée que la nuit.

A l’été, Chaland rencontre Daniel et Didier Pasamonik à Bruxelles.

Didier PASAMONIK : Il a déboulé dans notre librairie de Bruxelles en compagnie de Luc Cornillon, à la recherche, entre autres, d’anciens Spirou. Très vite nous sommes devenus amis. Nous étions sa source quasi exclusive en vieilles BD ! Nous lui servions de tête de pont à Bruxelles où toute une nouvelle génération pointait son nez. Magic Strip publiait les " belgeries " classiques : Greg, Franquin, Lambil... Chaland a fait plusieurs couvertures pour nous, dont celle d’un Jijé.

La publicité commence à faire appel à lui en août 79. Chaland réalise un album pour le Reader’s Digest. Aidé par Isabelle Beaumenay-Joannet, sa future épouse, il met en couleur le premier Jim Cutlass.

DIONNET :Pourquoi la pub ? Pour gagner sa vie. On lui payait ses strips 300 balles. Et il mettait deux mois pour faire six pages. La mise en couleurs, il aimait. En travaillant sur du Giraud, quelque part il rejoignait l’école ancienne. En 81, il mettra en couleur L’Incal Lumière de Moebius et Jodo, puis arrêtera en découvrant qu’il pouvait gagner beaucoup de sous avec la pub. La pub a été son heure de gloire et non sa perte. Beaucoup de gens ont alors découvert Chaland. Pour moi, ça a été la révélation terrible et formidable que Chaland n’était pas un auteur de bandes dessinées mais un post-warrolien pasticheur : souvent, une image de pub signée Chaland en disait plus que 44 pages de bande dessinée signées Chaland. Il était un génie, arrivé trop tard dans un monde trop vieux pour lui, et qui n’a jamais résolu ce problème.

Décembre 79. Avec Serge Clerc, FIoc’h et Ted Benoît, il crée le renouveau de la ligne claire.

DIONNET : Son look faisait partie de son œuvre. C’était un dandy ayant pour modèle Gaston Lagaffe. Il se disait : " Je suis un dandy, mais il faut que les gens ne s’en aperçoivent pas. En même temps, il faut que certaines personnes s’en aperçoivent... ". C’était tout Chaland. Un cheminement d’une complexité extraordinaire. Il était parfois surpris qu’on le comprenne. Je pense que lui-même ne se comprenait pas toujours.

Octobre 79. Le premier Captivant sort en album.

DIONNET ::J’ai regroupé tout son matériel disparate dans Captivant, parodie des journaux pour jeunes des années 50. Rien ne l’arrêtait. La première fois qu’il a montré un deal à la sortie d’une école, on a eu le MRAP aux fesses. Il ne cherchait pas à faire de la provoc. Il avait vu la scène dans des journaux des années 40, il la reprenait, en rajoutait. Il faisait ce qui lui passait par la tête. C’était un anarchiste rosâtre, à mon avis de droite. Profondément individualiste, ni socialisant ni communisant.

Le colonialisme paternaliste de Tintin au Congo le faisait énormément marrer. Ses auteurs préférés étaient racistes ? Il le serait aussi. Mais à un tel point que ce n’était plus du racisme. Il adorait l’excès.

YANN ; Avec Chaland, il faut absolument éliminer la politique. Yves ne s’intéressait qu’à la philosophie : l’individualité, l’autonomie, l’indépendance d’esprit, le rejet de toutes contraintes, l’anarchie. Il était totalement cérébral. S’il avait été marxiste, ç’aurait été tendance Groucho.

Bob Fisb commence en juin 80, dans le n°50 de Métal. Fish, enquêteur beau gosse comme la BD en a exploité des brouettes, se révèle être ivrogne, assassin, maître-chanteur...

DIONNET : Avec Bob Fish, il va loin dans la destruction de tout. Il estimait que tout avait été fait et pensait n’avoir pas un vécu tel qu’il puisse innover. Il disait " Je n’ai pas fréquenté d’aventuriers, je ne suis pas Pratt ! ".

Il ne se voulait pas novateur. Seulement ingurgitateur et redégurgitateur. Il a fait ce qu’a fait plus tard Tarantino au cinéma : s’approprier des univers existants et en faire un univers personnel en exacerbant défauts et tics des œuvres originales. Il exploitait à Paris la veine que Yann creusait à Bruxelles.

En janvier 82, le jeune Albert, second rôle dans Bob Fish, fait son apparition dans Métal. Évidemment, Albert est bête, méchant, et tout et tout...

PASAMONIK : Chaland adorait manipuler l’affectif, d’où son recours au style Spirou des années 50. Enfant, j’avais mes habitudes chez une marchande de bonbons. Un jour, en échange de confiseries, elle a donné à notre bande des boules puantes pour aller les jeter dans le café espagnol d’à côté. Évidemment, on l’a fait. J’ai raconté l’anecdote à Chaland. Il en a fait un scénario pour Ie Jeune Albert... Chaland est devenu une vedette à Bruxelles. Honneur suprême: on peut admirer dans le musée du Manneken-pis un costume du jeune Albert.

En 1981, Magic Strip publie un Bob Fisb bruxellois...

PASAMONIK : On en rit encore. Chaland avait été séduit par la Belgique conforme aux dessins qu’il trouvait dans Franquin. En venant nous voir, il a découvert la truculence des gens, des bistrots comme " La Mort subite " où il buvait de la Gueuze. On lui servait d’experts en belgitude. Bob Fish est bourré d’allusions à la politique belge, de clins-d’œil aux personnalités de la BD comme Van Melkebeke, le supposé nègre, entre autres, d’Hergé. On y voit la seule voiture belge, la Minerva, etc.

Du coup, nous es venue l’idée de faire une édition en bruxellois ! Qu’est exactement le bruxellois ? Éditorialement, une arnaque, puisqu’il s’agit en fait du français pimenté de quelques mots flamands. Jef Kazak a aménagé les textes et nous avons ajouté un lexique. Résultat : plus de 25 000 albums vendus en un an ! Trois fois plus que l’édition originale des Humanos !

YANN : L’album est génial. Je ne relis Bob Fish que dans cette version.

En Février 82, Le Testament de Godefroid de Bouillon, première aventure de Freddy Lombard, paraît chez Magic Strip...

DIONNET : À cette époque, il voulait une série. Ce qui sous-entendait ne plus " casser " ses personnages d’entrée. Chaland désirait toucher le lecteur d’album classique mais aussi lui donner quelque chose qu’il n’avait jamais eu. Faire l’album que les gens attendent et celui qu’ils n’attendent pas. Du funambulisme.

PASAMONIK : Chaland adorait mettre en compétition les éditeurs. Travailler pour nous, petite maison, lui permettait de mettre la pression sur les Humanos.

… et Spirou publie deux strips par semaine d’un Spirou imaginé et dessiné par Chaland : Spirou à la recherche du Bocongo. Une histoire sage par rapport à sa production habituelle.

YANN : Si on veut. Chaland n’a jamais pu faire du premier degré au premier degré. Son premier degré, c’est du quatrième degré, mélange de cynisme et de dérision, d’analyse de tout ce qui a été fait avant lui dans le but d’essayer de faire... du nouveau premier degré !

Chaland l’iconoclaste de Paris reçoit, en juin 82, Yann et Conrad, les iconoclastes de Bruxelles...

YANN : On voulait absolument voir à quoi ressemblait l’individu qui avait commis Bob Fish. Il possédait cet humour que nous mettions dans Les Innommables que publiait Spirou depuis 1978. Avec en plus un côté respectueux. On avait déjà été virés deux fois de Spirou. Nous faisions comme si de rien n’était. On bougonnait derrière nous, " Pourquoi ils reviennent ? ", mais comme ils publiaient nos planches... La troisième fois, ils nous ont signifié que nos factures ne seraient plus réglées. On avait gagné deux ans...

Chaland était le premier intello qu’on rencontrait dans ce milieu. Il avait un plan de carrière complexe, était bourré de plans sur la comète pour renouveler la BD en s’inspirant des anciens.

DIONNET : Il faisait du Yann sans Yann. Tous les deux avaient un côté punk bien mis. Ils ont l’air très classiques, très posés, alors que ce sont d’effroyables destructeurs nihilistes. Ils s’habillent comme des cadres japonais et à l’intérieur, ce sont les Sex Pistols...

Chaland rencontre Franquin en 1983...

PASAMONIK : Je me souviens de conversations homériques entre eux. Franquin : " Je ne comprends pas comment tu peux t’intéresser à mes anciens albums ! Ça fait trente ans que je ne dessine plus comme ça ! ". Chaland : " Au contraire, c’était génial, c’était une synthèse de toute la bande dessinée ! ".

YANN : Yves n’en démordait pas. Il râlait : " Dans la seconde partie de sa carrière, Franquin a galvaudé son talent au nom de l’esthétisme. En vieillissant, il a renié ce qu’il faisait de mieux ! Il aurait mieux valu qu’il meure dans une explosion atomique en 1957 (1), aujourd’hui il serait un demi dieu ! ". Pour Yves, le monde parfait s’arrêtait en 1957.

Le seul futur envisageable était celui que montrait les Science et Vie de 1957 et l’Atomium de 1958.

En 1983, Chaland publie Adolphus Claar.

PASAMONIK : L’album, après une prépublication dans Astrapi, est sorti chez Magic Strip. Sur la couverture était inscrit : " En 2226, Adolphus Claar combat la crise : il investit, il s’amuse et il gagne de l’argent ". Pour Noël 84, une ligne de vêtement Adolphus, le premier héros patron, est même présentée dans un show à la télé belge. L’histoire est publiée dans le Spirou néerlandais et dans le Heavy Metal américain. Aujourd’hui encore, Adolphus garde des adeptes. En juin 2000, à la biennale d’Erlangen, le Angoulême allemand, un immense Adolphus accueillait les voyageurs à la sortie de la gare...

En novembre 83, Métal Aventure publie le Cimetière des éléphants, deuxième Freddy Lombard.

YANN : On se voyait régulièrement pour discuter d’un grand projet Spirou. Il me montrait les Lombard. Je donnais mon opinion genre " Dès la page 3 le héros a l’air de se foutre de l’enjeu, il écrabouille le tableau représentant le trésor à trouver, c’est embêtant, garde la scène pour la fin ! ". Il en a eu vite marre et m’a lancé " Si tu es si malin, sors-moi une histoire ! ". C’était parti...

En janvier 86~, La Comète de Carthage sort en album.

YANN : Nous étions co-scénaristes. J’arrivais à Paris avec mon scénario découpé. Je repartais avec, au mieux, le tiers de ce que j’avais amené ! On refaisait tout. Au réveil je me disais " On a bien travaillé ". Tu parles! Yves m’appelait " J’ai une autre idée, on fout en l’air les six pages de cette nuit ! ". Et ça repartait. C’était drôle et stimulant, pas comme pour un boulot de commande. Yves ne pouvait dessiner que ce à quoi il croyait. Nous sommes allés faire des repérages à Cassis, en pleine tempête. On a dormi dans le même lit. Tout ça pour donner une vision de la destinée humaine. Mais de manière amusante et distrayante, hein ! Pour les jeunes sains et positifs, hein !

Avril 86. Magic Strip enrichit Le Testament de Godefroid de Bouillon...

PASAMONIK : Au début de l’histoire, les héros abandonnent leur voiture. On a imaginé que des flics tombaient dessus et suivaient nos héros en dressant des PV. J’ai fourni à Yann des rapports de la police belge pour qu’il les singe. C’était bourré de petits détails. On apprend ainsi dans ce bouquin que Freddy Lombard et Linda sont divorcés ! On a tiré 1099 exemplaires. Pourquoi? C’est l’année de la prise de Jérusalem par Godefroy de Bouillon. Dans chaque exemplaire, on trouvait entre autres une plume, pièce à conviction contre Freddy voleur de poules. On a sorti une édition de luxe de l’album agrémenté du " Rapport de la police royale ". Deux volumes vendus 450 E Tout est parti en une semaine Aujourd’hui, ils sont encore cotés 2500 au BDM après avoir atteint les 9000...

YANN : Je vois encore les deux frères armés de bombes insecticides au milieu de centaines de plumes de poulet pleines de puces. Un grand moment de l’histoire de la BD !

En mai 87, Dupuis annonce à Chaland que son projet Spirou est abandonné.

YANN : Un coup dur pour Yves tant l’idée lui tenait à cœur. Il expliquait que les grands anciens faisaient du premier degré parce qu’il n’existait rien avant eux. Qu’aujourd’hui on ne pouvait plus. Qu’il fallait aller encore plus loin. Une théorie à l’opposé de celle de Tome et Janry, l’autre équipe qui travaillait sur Spirou. Ce discours, il le tenait aux gens de Spirou. Lui partait dans ses raisonnements, eux disaient : " Vous pouvez le faire en 44 pages ? ", "En couleurs ? Vous voulez être payé pour la couleur aussi ? Combien ? ". C’était drôle, ils répondaient technique au ras des pâquerettes, alors que lui leur balançait ses ambitieux délires.

À l’époque, il faisait ses strips Spirou rétros pour ne pas nuire au Spirou moderne de Tome et Janry. Ça lui convenait tout à fait, il faisait attention à ne pas choquer, sachant que sa production était examinée à la loupe. Je lui ai alors proposé de faire un vrai Spirou racontant la rencontre Spirou-Fantasio. Le rédac chef de l’époque, Alain de Kuissche, qui croyait avoir les pleins pouvoirs, a signé le contrat. Nous avons fait une dizaine de pages. Yves y passait un temps fou. Il y a eu cinq ou six versions du début. Hallucinant ! Et puis de Kuissche a appelé. Il partait, et du coup ne misait plus un kopeck sur notre projet. Deux jours après, on recevait une lettre du style pas la peine de continuer, il n’y a qu’une bonne équipe, celle de Tome et Janry. On s’est remis à Freddy Lombard.

DIONNET : Chaland pensait qu’il allait pouvoir faire du Spirou en faisant du Chaland. Je crois qu’il se trompait complètement sur son public potentiel. Les gens n’attendaient pas le Spirou des années 50 qu’il voulait refaire, mais le Spirou actuel. Par son esprit caustique, par sa pureté de dessin, par son envie d’assimiler tout ce qui était passé avant lui, c’est plutôt un avant-gardiste. Écrivain, il se serait retrouvé aux éditions de Minuit, faisant des bouquins " prises de tête ", revisitant les mythes du début du siècle. Le problème est qu’il rêvait d’être au Fleuve noir ! C’était insoluble. Il a eu la chance d’arriver à un moment magique où Métal pouvait tout se permettre, d’où son sentiment qu’on pouvait tout se permettre partout. Spirou lui a démontré le contraire.

En mai 88 paraît Vacances à Budapest, quatrième Freddy Lombard.

YANN : Une idée de lui. Il ne comprenait pas que la bande dessinée n’ait pas traité la révolte hongroise de 1956. Alors on l’a fait. Sans aller à Budapest.

En octobre 89 paraît F52, cinquième Freddy Lombard.

YANN : Une histoire de lutte des classes dans un avion supersonique atomique… J’ai vendu ma soupe en lui disant " Faisons l’équivalent d’un film intitulé L’An 2000 avec Louis de Funès, avec un côté franchouillard en apparence, pour plaire au public normal ". Les six premières planches sont presque normales, puis ça dérape joliment. Le scandale est venu d’où on ne l’attendait pas. Nous avons été assaillis de reproches pour avoir montré une petite fille mongolienne. Alors qu’on ne se moquait pas d’elle. La sœur d’Yves travaillait pour un institut d’enfants mongoliens, on connaissait le problème. On se fichait d’un couple de riches, mais pas de l’enfant.

Yves n’a jamais réussi à faire de la BD qui se vend en piles chez Carrefour. Moi-même, j’essaie et je n’y arrive pas ! Un jour, je lui ai dit " Si on faisait des héros un peu plus normaux ? ". Devant son regard, j’ai vite changé d’avis. Sinon, c’était la porte...

DIONNET : Il rêvait d’une BD populaire mais n’était absolument pas fait pour ça. Il n’était pas un auteur populaire. En BD, la destination doit être claire dès le départ. Lui, sa destination, il ne l’a jamais connue Il vendait entre 4000 et 6000, Mais ses tirages de tête s’arrachaient. 4000 fans fous furieux achetaient tout. Son public était celui des librairies spécialisées, des Fnac. Pas des Carrefour.

Avril 90. Cœurs d’acier sort chez Champaka.

YANN : L’éditeur Champaka avait obtenu de Dupuis l’autorisation de publier les strips Spirou de Chaland. Problème : il n’y avait pas de fin. Et nous n’avions plus le droit de dessiner ou même d’imprimer les noms de Spirou et Fantasio. Du coup, je les ai déguisés en hommes léopards et mis des textes off parlant du " jeune homme ", du "freluquet ", de " l’écervelé". Mais le cœur n’y était plus. Yves était débordé. J’ai fait un texte et lui, une dizaine de vignettes à coller. On était loin de notre grande saga Spirou...

Janvier 1990 à Angoulême...

PASAMONIK : Chaland, tout heureux, me disait " Avec la campagne publicitaire Quick, j’ai gagné assez d’argent pour vivre toute l’année. Je vais pouvoir faire de la BD tranquillement ! ". Il s’était enfin trouvé. Sa série commençait à s’étoffer, et la publicité lui permettait une grande liberté...

Une nuit de juillet 1990, Yves Chaland et sa petite fille sont tués dans un accident de la route. Il avait 33 ans.

YANN : Nous travaillions sur le prochain Freddy Lombard. Un remake de la rafle du Vel’ d’hiv, où la police française arrêta des milliers de Juifs. Nous avions imaginé des extraterrestres venant reprendre possession de la Terre, le bail des humains arrivant à son terme. Les flics, service-service, embarquaient tout le monde dans des milliers de soucoupes volantes. On en était à la recherche de personnages quand Yves est mort. Qu’est-ce qui différencie son travail de celui des faiseurs qui fabriquent leurs trucs pile-poil aux normes syndicales ? La sincérité. C’est un peu bébête à dire, mais je crois que c’est l’essentiel. Et alors, tout est justifié. On a tous les droits.

1) L’année de naissance de Chaland…