Interview croisée de
Frédéric Prilleux   et   Michel Pelé

Cet entretien est issu du site http://www.mauvaisgenres.com, site sur les "mauvais genres" que sont le polar et la science-fiction.
Un grand merci à eux pour cet entretien et leur autorisation à le reproduire ici.

L'album F52 de la série des aventures de Fredy Lombard était à l'origine annoncé sous le titre « La Parabole de la soucoupe ». Est-ce que vous avez payé des droits d'auteur aux ayants droit ?

Frédéric Prilleux : Oui, plein, c'est d'ailleurs ce qui a coulé Baleine, on peut bien le dire maintenant.

Non, évidemment, car F-52 n'est pas "La parabole de la soucoupe" sous un autre titre, mais bien un album n'ayant jamais existé. Je vois que notre interviewer a sauté des pages de notre livre, qui est pourtant d'une simplicité enfantine.

Michel Pelé : Pour tout ce qui concerne les choses pratiques voyez avec Frédéric. Lui au moins a la tête sur les épaules.

« Mon but, ce n'est pas vraiment la BD, la finalité de mon oeuvre, c'est ma biographie [.] J'adore les biographies : les belles bibliographie. » Vous voilà hagiographes d'Yves Chaland  jusqu'à combler les trous d'une biographie jamais écrite?

MP : Une hagiographie est une vie de saint. Moi je veux bien qu’il y est une Saint Chaland dans le calendrier à condition que cela nous donne un jour férié supplémentaire.

FP : Hum, question difficile. Il est vrai que ce roman est celui d'un inconditionnel de Chaland (moi) et d'un grand amateur de biographies (Michel), et que le résultat final peut donner ce sentiment. Mais la  collection Pierre de Gondol est destinée à rendre hommage à des auteurs adorés par ceux qui écrivent un épisode de la série, non ? C'est en tout cas comme cela que nous l'avons prise. Elle nous permettait de faire redécouvrir un auteur de bandes dessinées qui a marqué définitivement le genre en très peu de temps et en finalement assez peu d'albums. 

« Selon moi, il faut maltraiter le lecteur » écrit Chaland. Et vous à surenchérir . « C'est un jeu. Il faut traquer la vérité ». En embrouillant le lecteur ?

FP : Maintenant, le livre est un roman, que nous avons voulu ludique, où nous avons pris plaisir à, effectivement embrouiller le lecteur. Nous avions une légitimité à opter pour cette voie du brouillage de pistes et presque même un devoir à l'emprunter; puisque Chaland lui même s'en était fait une spécialité, surtout à ses débuts. Je pense que le roman est sur Chaland, ça ne fait aucun doute, mais un peu aussi, à la manière de Chaland. Sans les dessins... mise à part celui figurant la couverture, que nous trouvons très belle (merci Baleine !).

MP : Je ne sais pas si nous avons tenu ce pari jusqu’au bout. Nous voudrions bien embrouillé le lecteur mais nous avons été parfois si embrouillé dans le labyrinthe des services secrets soviétiques….j’ai toujours aimé les histoires d’espionnage un peu confuses comme La lettre du Kremlin de John Huston où le réalisateur semble dépassé par les événements.

Vous êtes des auteurs aussi facétieux qu'Yves Chaland, mais moins noirs, plus optimistes sur la nature humaine. Me trompe-je?

MP : Frédéric et moi nous nous sommes rencontrés lors d’un Jamboree scout du côté de Saint Michel-Chef-Chef. Lui avait pour Totem , "  tapir Facétieux " et moi " Buffle optimiste ". C’est ainsi que se sont déterminées nos humeurs respectives comme l’avait bien écrit Freud dans " Totem et Tabou. "

FP : Vous avez raison de dire qu'on est aussi facétieux, mais moins noirs, qu'Yves Chaland. Je nous vois mal écrire du "pur noir", à la manière d'un Crifo, d'un Busino. Je ne sais pas d'où cela vient, mais je trouve que l'écriture à quatre mains entraîne une certaine jubilation qui nous écarte d'office des chemins obscurs. Quant à être optimiste sur la nature humaine, ça c'est autre chose...

Pourquoi le 21 mai ?

FP : Le 14 juillet était déjà pris, et ne faisait pas très russe. Octobre et la Révolution du même nom aurait pu faire parfaitement l'affaire. Alors oui, tiens pourquoi le 21 mai ? En fait, il me semble que c'est d'après un détail d'un dessin de Chaland dans F-52 - une date sur une lettre échappée d'un sac postal - que j'ai retenu cette date, pensant m'en resservir lors d'une scène dans l'avion. Mais je crois qu'en fait nous ne sommes pas trop posés de question sur ce 21 mai. Nous voulions juste qu'une date revienne systématiquement, dans une sorte de journal intime annuel, alors le 21 mai, pourquoi pas ?

MP : Le 21 mai est le 21 – 0 5 . Si tu additionnes ces chiffres, tu obtiens 8 . Tu ajoutes le nombre des deux gugusses qui ont écrit la parabole , tu obtiens 10 et 10 est le dernier numéro de la collection Pierre de Gondol et c’est bien triste que cela se termine ainsi.

 

 

Si je ne suis un médiocre documentaliste, c'est que le KGB a réussi à éliminer toutes les traces de « l'affaire Costandi ». Est-ce que vous pourriez nous dire s'ils ont encore une cellule de veille avec des hackers pour détruire les pages qui seraient publiées sur Internet ?

MP : J’ai une grande révélation à vous faire . Il y a effectivement un gigantesque complot et derrière tout çà, il y a … Gérard Meylan.

FP : Alors là, l'agent Pelev en sait plus que moi sûrement. Ce n'est pas pour rien qu'il a été délocalisé il y a peu à Oslo. Moi ici, en Bretagne, je n'ai rien remarqué.

Comment avez-vous coordonné cette co-écriture ?

FP : Notre duo est maintenant parfaitement rôdé : pendant un an et demi je réfléchis à l'intrigue, dresse de multiples plans de bataille, lis des tonnes de docs (et là, j'en avais sacrément besoin) et ecris des bouts de chapitres par ci par là. Au bout d'un moment, je me rends compte que j'ai quinze pages rédigées, je panique complètement, désespère d'arriver au bout, et j'appelle Michel au secours, qui, grâce à une vitesse d'écriture phénoménale rétablit la situation en deux temps trois mouvement, et hop, le tour est joué. Cette méthode infaillible a été appliquée avec succès à "La Parabole", comme vous avez pu le constater, puisque vous avez adoré ce livre (ah non ?).

Bon, en vrai, ce n'est pas tout à fait comme cela que nous avons procédé : après avoir bâti notre intrigue, les rôles se sont répartis naturellement entre Michel et moi, car il y a deux parties bien distinctes dans le roman, que nous avons placées en alternance, au niveau de la lecture. Il n'en demeure pas moins exact que Michel écrit beaucoup plus vite que moi, et que sans lui, je serais encore à la recherche de détails destinés à rendre le roman encore plus "crédible". Nous avons passé une après midi à voir comment les chapitres et les éléments pouvaient s'imbriquer les uns dans les autres, et comment Pierre de Gondol allait les découvrir. Et nous les restituer au lecteur. Rien de plus que les "soucis" de tout écrivain de polar qui essaie de construire quelque chose qui tienne debout, et qui captive l'attention de son lecteur. Sauf que là, nous avons comme d'habitude si j'ose dire - c'est notre troisième roman à deux - eu aussi à résoudre les problèmes de confrontation de nos deux écritures, quelques incompréhensions mutuelles sur le texte de l'autre, du genre : alors là, je comprends vraiment pas ce que tu racontes. Agaçant, et même vexant. Mais comme d'habitude, nous avons surmonté nos différences et chacun a fait les concessions qu'il fallait (comme c'est beau !).

MP : Frédéric a prémédité intelligemment les opérations comme Joukov, le percutant stratège vainqueur de Stalingrad . Moi , j’ai arrosé à l’aveuglette notre progression à coup de kalachnikov. Voilà ce qu’on appelle de la coordination.

Bravo pour ce roman qui est un vrai livre de bibliothécaire. Pierre de Gondol, libraire et détective du 9ème art au service de la bande dessinée ?

MP : Il est au service de la BD pendant toute cette histoire même s’il semble exprimer beaucoup de lacunes dans la question. Il n’a pas réponse à tout. Il est fragile cet homme là.

FP : Pour ce qui est d'avoir écrit un "vrai livre de bibliothécaire", comme vous le qualifiez, j'imagine que c'est en raison des différents lieux du livre et de (para)littérature que traverse Pierre de Gondol. Là, nous avons en fait respecté la collection telle qu'elle était définie à la base : les enquêtes devaient se dérouler dans les livres et dans les lieux du livre... C'était tout le côté "intello" de la collection, je pense. En plus d'avoir un enquêteur d'une rare érudition, libraire de métier. Pierre de Gondol est du reste présentée par Baleine comme une collection "intello-populaire". Michel et moi-même entrons parfaitement dans le profil type de l'intello-populaire. 

Nous avons des professions où le cerveau prime sur le muscle (prof d'histoire et bibliothécaire) donc nous serions de ce côté là plutôt intellos, et de l'autre côté nous sommes d'indécrottables fans de foot que l'on peut même croiser dans les tribunes les plus enfiévrées (où nous gardons toute notre dignité, notez bien). Donc voilà pour le côté populaire.

Fort de cette légitimité nous ne pouvions que nous attaquer à Pierre de Gondol, mais plutôt que de le faire en nous attaquant au côté "intello" de la collection nous avons choisi la face "poupulaire" en situant notre enquête dans le monde de la bande dessinée. Ce qui nous permet d'avoir un roman qui "parlera" à un plus grand nombre de lecteurs, même si, avouons-le, nous avons un peu cherché la difficulté en choisissant Chaland comme base à notre histoire. L'intérêt était aussi de se faire rencontrer deux genres, le polar et la bande dessinée

Sauf coup de théâtre de dernières minutes (avec un éditeur de polar, tout est possible), la collection Pierre de Gondol devrait s'éteindre avec les éditions Baleine. Avant de fermer la porte, pourriez-vous nous donner votre définition de ce qu'est une collection intello-populaire ?

Note du modérateur : Pour lire réponse de Frédéric Prilleux, voir la précédente case. Et ça se prétend amoureux de la BD !

Droit de réponse de FP : Le grand avantage de la bande dessinée sur le livre avec des lignes c'est que l'oeil peut embrasser d'un seul coup plusieurs aspects de l'histoire, qu'il est attiré par  plusieurs cases à la fois. Le regard va et vient sans cesse, c'est un plaisir pur. J'ai bien entendu appliqué cette simultanéité à mes réponses afin d'en faire profiter le plus grand nombre. Je suis vraiment navré que monsieur le modérateur ne mesure pas la chance qu'a Mauvais Genres de bénéficier d'une technique révolutionnaire pour les réponses à son interview.

MP : Intello ? nous n’avons pas mis beaucoup de références très intellectuelles juste assez pour justifier les études que nous ont payé nos familles. Il est vrai que nous n’avons pas beaucoup plongé les mains dans le cambouis. On a fait un travail de secteur tertiaire , de col blanc.

Populaire ? Nous essayons de ne pas faire trop de sophistication. On s’est nourri de clichés qui appartiennent à la culture populaire. Bref, nous ne somme pas toujours sortables en société.

Il y a un bel hommage aux éditions Baleine à la fin de cet ouvrage. Alors que fait-on ? On pétitionne, on occupe les lieux ?

MP : Vivant dans un pays( La Norvège) qui se fait tirer les oreilles ( je ne sais pas si cette expression imagée convient bien aux cétacées) pour la question du moratoire de la chasse à la baleine( le petit rorqual ou Baleine de Minke , 700 têtes par an), comment voulez –vous qu’on ne s’alarme pour toutes chasses à la baleine ?

Il y a toujours des baleines plus grosses que soi qui vous bouffent comme du krill( ces petites crevettes de l’antarctique)

Comment rester indépendant dans cette mer de plus en plus fermée de l’édition ?

FP : L'hommage aux éditions Baleine. Oui. C'est pour moi une évidence : sans Baleine, nous ne serions pas là en train de répondre à vos questions... Notre premier livre fut un Poulpe (comme tout le monde j'entend d'ici...) et nous avons fait partie de ces auteurs inconnus qui se sont retrouvés publiés dans leur genre préféré, et dans une collection à l'aura certaine. L'aubaine ! Et Baleine a toujours laissé la porte ouverte à ses collections, toujours plus diverses, toujours plus excitantes,  et même si nous n'avons rien publié chez Baleine entre notre Poulpe et ce Pierre de Gondol, il est évident que nous avons eu envie de continuer à écrire parce que nous savions qu'il y avait là un éditeur, qui pourrait être intéressé par ce que nous faisions et qui surtout, entretenait une certaine flamme, en faisant feu de tous bois. On pensera ce qu'on voudra des productions de cet éditeur, mais je reste persuadé que Baleine a suscité des vocations, conforté des gens dans leur envie de continuer à écrire. Alors, oui, un petit hommage à la fin du livre, ainsi qu'à la collection elle même, cela s'imposait presque, et là encore, nous l'avons fait de manière ludique, la seule voie qui en fait nous plaise vraiment... 

Avec ce roman, vous avez prouvé que vous étiez des pros de la notice biographique. Aussi, je demande à chacun de vous d’écrire vos deux notices biographiques. Ainsi on pourra comparer et traquer l’erreur.

Frédéric Prilleux par ?

1. PRILLEUX Fréderic. Supporter guingampais ( Le Mans, 3 avril 1966)

Elevé au milieu de l’ambiance virile du II eme Rima , il s’est forgé un caractère tenace qui lui servira à affronter bien des épreuves dont celle de corriger toutes les fautes de frappe et de tabulation d’un acolyte d’écriture incompétent dans le traitement de texte. Possesseur d’une carte Orange lui donnant accès à l’Underground culturel et alternatif , il peut renseigner son acolyte ignare sur , par exemple, la scène musicale rouennaise de janvier 1984 à mars 1985 ou un fanzine de BD édité en 1990 par des lycéens redoublants d’un établissement technologique de la périphérie grenobloise. Il a conduit en quatrième vitesse son bibliobus à travers toutes les routes de France au son de Prodigy ( le groupe préféré de ses enfants).Il s’est bâti avec sa famille un Ker-Joli sur la côte bretonne. Il a plein de bonnes idées dans ses cartons.

2. Né le 3 avril 1966 au Mans, Frédéric Prilleux, a commencé sa véritable carrière d'écrivain en 1976 par un résumé de St Etienne / Dynamo Kiev d'un réalisme saisissant. Il faudra malgré tout attendre vingt deux ans pour retrouver sa prose footballistique dans un premier roman écrit en collaboration avec un ami, Michel Pelé, qui comme lui vibre chaque samedi soir pour le Rouge et le Noir , mais pas le même (Guingamp pour l'un, Rennes pour l'autre).

Bibliothécaire, d'abord en Haute Marne où son bibliobus le menait régulièrement jusqu'au village du Général lui inspirant une longue nouvelle, à ce jour inédite ("Surfin' Colombey"), Frédéric Prilleux a ensuite posé ses valises en Bretagne, pour la création de la médiathèque de Pordic.

Il rencontre assez vite une bande d'irréductibles bretons qui ont la fureur de vivre dans le noir et il participe à leur traditionnel week end de libations (Noir sur la ville, à Lamballe) chaque année. Cela ne l'empêche pas de continuer à fréquenter son alter égo en écriture, Michel Pelé pour des roman toujours plus improbables ("La Troménie des abeilles", Moulard, 2000 et "La Parabole de la soucoupe", Pierre de Gondol 2002). Des romans si improbables que les séries se sont arrêtées dès la publication de leur épisode. Cette malédiction naissante ne désespère pas pour autant Frédéric Prilleux qui a décidé de convaincre Gérard de Villiers de laisser le duo Pelé / Prilleux s'attaquer à S.A.S. Le Monde des Lettres peut trembler.

Michel Pelé par ?

1. Né à Vitré en le 11 avril 1967, Michel Pelé passe une enfance tranquille dans sa Bretagne adorée. Doté d'un bel organe, il est repéré par le curé de sa paroisse qui veut faire de lui un des piliers de sa chorale. Hélas, la mue adolescente ruine les espoirs du Père Benoît mais Michel conservera de ce passage chez les religieux un goût certain pour les lieux de recueillement, comme en témoigne son tout premier texte publié ("L'interprétation des raves", Baleine, 1997). Ce texte qu'il avait fait lire par imprudence à Frédéric Prilleux marque tellement ce dernier que celui-ci lui propose illico de s'embarquer pour un roman à quatre mains. Malgré une activité musicale prenante - Michel Pelé a repris sa place dans une chorale où son charisme et sa joie de vivre font merveille - il accepte, et le duo réussit à écrire un roman tous les deux ans depuis 1998. Professeur d'histoire-géo de métier, Michel Pelé n'hésite pas à demander à son ministère de tutelle les postes à l'étranger les plus exotiques (Mayotte, 1992 - Oulan-Bator, 1995 - La Bourboule, 1998 et Oslo depuis 2001) afin de parfaire un bagage lexicographique destiné à créer des personnages plus vrais que nature (cf l'étonnant duo de moines bretons dans "LA troménie des abeilles" , éditions de l'Aube, 1998 ou, plus tôt, l'inénarrable Bodou, autochtone costarmoricain dans "Kop d'immondes", Baleine 1996). Cet infatigable voyageur semble n'avoir aucune limite, et il serait étonnant que le Monde des Lettres ignore bien longtemps le nom de Michel Pelé.

2. Né à Vitré en 1967 ; Inscrit par erreur au concours du plus beau bébé des comices agricoles de St Germain en Coglès. Je fais beaucoup de basket mais aussi de l’école. J’atterris par mégarde derrière une estrade de prof. Comme les élèves écrivent sur les tables , moi je décide d’écrire sur des carnets. Je me casse une cheville ( La malléole de la cheville droite) en décembre 2001 en jouant au basket. J’arrête ce sport et comprend alors qu’écrire est moins dangereux pour sa santé .