Couverture de Bulles Dingues n°12
Entretien avec Jean-François Douvry

Ces propos d'Yves Chaland ont été recueillis par correspondance en janvier 1989 par Jean-François Douvry, et ont été publiés dans le numéro 12 de Bulles Dingues de février 1989.


- Est-ce que tout a réellement commencé en bande dessinée avec L'UNITE DE VALEUR ? Que dessiniez-vous avant ?
- En 1975 nous étions, BIARD, CORNILLON, TERPANT et moi-même aux Beaux-Arts de St Etienne. Nous faisions de la bande dessinée en amateur. Je me souviens aussi de cette fille, DIRAT, qui ne semblait pas particulièrement portée vers les Comics et qui a publié par la suite plusieurs albums plutôt réussis. La finalité de la Bande Dessinée c'est l'édition ; aussi à force d'en discuter, notre professeur de dessin (on disait " graphisme "), LOUISGRAND, nous a parlé de son ami imprimeur qui pourrait nous faire des prix. Et puis il fallait trouver un titre. C'est encore LOUISGRAND qui en a eu l'idée. L'obsession c'était ces fameuses Unités de Valeur, il en fallait 2 ou 3 par discipline. St on ne les avait pas on redoublait. D'ailleurs afin de rester ensemble je faisais aussi les dossiers de CORNILLON. Le premier numéro de notre Fanzine, L'UNITE DE VALEUR, était en noir et blanc mais nous avions pris goût à l'odeur de l'encre d'imprimerie et l'année suivante, nous avons mis en chantier un deuxième numéro où nous expérimentions cette fois la couleur à travers le BEN-DAY.
Nos goûts portaient vers la bande dessinée en général. Nous aimions tout. Les Américains, les Hollandais, les Belges, les vieux dinosaures comme les jeunes loups qui commençaient à percer... Pourtant la vraie influence venait des Beaux-Arts eux-mêmes.

- Quels étaient les points de rencontres entre vous-même, CORNILLON et BIARD, échangiez-vous dessins, albums, revues, infos ? Aviez-vous des lieux privilégiés ?
- Oui, nous échangions des albums. Si cela vous intéresse, nous mangions nos sandwichs à la terrasse de LA MARINE où nous restions jusqu'à une heure avancée de l'après-midi car les horaires de l'école n'étaient pas très stricts,

- Dans un environnement relativement hostile à la Bande Dessinée, les Beaux-Arts de St Etienne, comment est né L'UNITE DE VALEUR ?
- Contrairement à ce que l'on peut croire c'est nos profs eux-mêmes qui nous ont poussé à réaliser notre fanzine. D'ailleurs c'est sur l'examen du deuxième numéro que nous fûmes admis en troisième année.

- Connaissiez-vous le fanzine roannais de Serge CLERC, ABSOLUTELY LIVE ?
- Nous connaissions tout ! Quant à SERGE CLERC, nous ne l'avons connu que plus tard, à METAL HURLANT.

- Comment avez-vous fait imprimer et diffuser les 200 exemplaires de L'UNITE DE VALEUR ?
- Nous avions fondé à 4 une coopérative autogérée. Les ventes furent faites par correspondance. Il y avait différentes rubriques consacrées aux Fanzines dans plusieurs journaux. Tiens, c'est vrai, elles ont disparus.

- Possédez-vous encore les deux numéros en question ?
- J'en ai plein mon grenier ! Pour ma part, je n'en ai jamais vendu un seul !

- Quinze ans ont passé : vous souvenez-vous de ce que vous avez ressenti lorsque, pour la première fois, vous avez tenu entre vos mains ce premier travail imprimé ? Avez-vous depuis éprouvé des sensations analogues ?
- C'était une expérimentation technique. J'avais l'idée de supprimer la photogravure que je jugeais inutile et coûteuse. Je voulais insoler les plaques offset directement sur le banc repro ! J'avais aussi imaginé de dessiner en blanc sur papier noir. En gravure, on aurait donc eu directement un positif et puis créativement cela me paraissait intéressant. Quand les premières feuilles sont sorties de la machine, j'examinais le point de trame à la loupe compte-fils. Un peu plus et je devenais imprimeur. Le dessin et la Bande Dessinée étaient passés complètement au second plan.

L'unité de valeur - A l'époque, avez-vous rencontré TILLIEUX, FRANQUIN ou JIJE ? Quels albums vous faisaient rêver ?
- Tous leurs albums nous fascinaient. Mais ce n'étaient pas pour nous des histoires en image. Nous recherchions les vieilles éditions et nous faisions, à l'aide d'un Macro-objectif, des diapositives à partir de cases ou plus souvent de détails. La magie était là, en grand, sur l'écran, chaque point de trame gros comme un Smarties.

- Pensez-vous que le fanzine actuel soit une bonne école pour un auteur ?
- Pour un auteur de bande dessinée ? Un tremplin peut-être...

- Pour les fanzines, vous avez parallèlement à votre production dans le milieu professionnel livré couvertures, dessins et logos (pour PLG entre autres) : quest-ce qui vous motive dans ces travaux non rémunérés ?
- Quand un fanzine consacre un numéro spécial à son chéri, il récupère une illustration peu connue pour en faire sa couverture. Certains ne jouent pas le jeu des fanzines. Pour ma part je réponds à tout mon courrier ; il m'active même de donner par téléphone la date de sortie de mon dernier album à des quidams qui ne prennent pas la peine de se présenter. Ceux-là, ils exagèrent !

- Même s'ils ne sont pas très nombreux, certains auteurs de Bandes Dessinées ont d'abord publiés dans un fanzine. Cependant, cette étape fut courte : le fanzine est-il sélectif, tremplin pour les uns, impasse pour les autres ?
- Une impasse ? Non, cela peut être une fin en soi. Il y a des gens qui font des fanzines depuis 15 ans sans jamais avoir eu la tentation de se frotter au professionnalisme.

- Les fanzines sont de natures diverses, certains s'adressent aux collectionneurs, d'autres analysent, recensent et informent, la plupart présentent de jeunes auteurs et interviewent les pros : comment expliquez-vous cette richesse (plus de 500 TITRES en dix ans, rien qu'en France), qui n'a pas d'équivalent dans les autres moyens d'expression ?
- C'est vrai, certains se présentent comme des revues d'information mais d'autres sont plus créatifs néanmoins. De ce point de vue. la bande dessinée qui est un moyen d'expression graphique devrait générer beaucoup plus d'expériences imprimées. C'est 500 titres par an que l'on aimerait voir.

- Dans un paysage en pleine restructuration, où se côtoient revues en crise et groupes financiers à prétention moralisante, pensez-vous que le fanzine à sa partition à jouer ? Quel peut être, dans un tel contexte, le rôle d'une publication amateur ?
- Je n'ai pas de point de vue sur cette question, d'autant que pour moi, rien n'a changé depuis les Beaux-Arts ; je continue à dessiner comme au début, c'est-à-dire en amateur.